•  POEMES D'AUTEURS

     

    L'amour qui nous attache aux beautés éternelles

    N'étouffe pas en nous l'amour des temporelles;

    Nos sens facilement peuvent être charmés

    des ouvrages parfaits que le Ciel a formés.

    Ses attraits réfléchis brillent dans vos pareilles,

    Mais il étale en vous ses plus rares merveilles :

    Il a sur votre face épanché des beautés

    Dont les yeux sont surpris, et les coeurs transportés,

    Et je n'ai pu vous voir, parfaite créature,

    Sans admirer en vous l'auteur de la nature,

    Et d'une ardente amour sentir mon coeur éteint,

    Au plus beau des portraits où lui-même il s'est peint.

    D'abord, j'appréhendai que cette ardeur secrète

    Ne fût du noir esprit une surprise adroite;

    Et même à fuir vos yeux mon coeur se résolut

    Vous croyant un obstacle à faire mon salut.

    Mais enfin je connus, ô beauté toute aimable,

    Que cette passion peut n'être point coupable,

    Que je puis l'ajuster avec la pudeur,

    Et c'est ce qui m'y fait abandonner mon coeur.

    Ce m'est, je le confesse, une audace bien grande

    Que d'oser de ce coeur vous adresser l'offrande;

    Mais j'attends en mes voeux tout de votre bonté,

    Et rien des vains efforts de mon infirmité;

    En vous est mon espoir, mon bien, ma quiétude,

    De vous dépend ma peine et ma béatitude,

    Et je vais être enfin, par votre seul arrêt,

    Heureux, si vous voulez, malheureux, s'il vous plaît...

    (le Tartuffe, acte III scène3)

    MOLIERE  1622-1673


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  • POEMES D'AUTEURS : L'homme et la mer

     

    Homme libre, toujours tu chérira la mer

    La mer est ton miroir, tu contemples ton âme

    Dans le déroulement infini de sa lame,

    Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.

     

    Tu te plais à plonger au sein de ton image

    Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur

    Se distrait quelquefois de sa propre rumeur

    Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

     

    Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets,

    Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes,

    Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,

    Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets!

     

    Et cependant voilà des siècles innombrables

    Que vous vous combattez sans pitié ni remord,

    Tellement vous aimez le carnage et la mort,

    Ô lutteurs éternels, ô frères implacables.

    -Charles Baudelaire

    ’Les fleurs du mal’’

    (1857)

    Commentaire

     

    Son voyage à l'Île Maurice avait révélé à Baudelaire la beauté de la mer. Voyant en elle le symbole de l’évasion, de l’appel vers ce qui n’est pas, vers l’illimité, il la célébra souvent dans son oeuvre, en particulier dans le poème en prose intitulé ‘’Déjà’’, où, comme il faisait allusion à ce voyage, il évoquait «cette mer si infiniment variée dans son effrayante simplicité, et qui semble contenir en elle et représenter par ses jeux, ses allures, ses colères et ses sourires, les humeurs, les agonies et les extases de toutes les âmes qui ont vécu, qui vivent et qui vivront !» C’était en fait un lieu commun philosophique qui procédait de Chateaubriand : l'âme est infinie, la nature est son miroir.

    Dans ce poème, il le développa, ayant pu, sans qu’il soit possible de l’affirmer, avoir dans l’esprit deux très belles pages de Balzac dans ‘’L’enfant maudit’’, dont il suivit le mouvement, au moins dans la première partie. Le romancier avait imaginé une sorte de dialogue passionné entre l’enfant et la mer, idée que reprit Baudelaire, mais en l’interprétant et en lui donnant un sens nouveau.

    Il parut la première fois en octobre 1852, dans ‘’La revue de Paris’’ sous le titre ‘’L’homme libre et la mer’’, qui insistait davantage sur le vrai sujet de ces vers : ce n’était pas l’homme en général, mais l’homme libre qui aimait la mer ; et l’homme libre, c’est le bohémien, l’artiste, le poète.

    En quatre quatrains d’alexandrins (ce qui peut faire croire qu’on a affaire à un sonnet) aux rimes embrassées, le poète, dans une structure en miroir, mit en scène et développa les analogies entre l'être humain et la mer, qui étaient pour lui également mystérieux et tourmentés, pour finalement regretter l’éternel affrontement de ces jumeaux ennemis. Aussi la dernière strophe s’oppose-t-elle aux trois autres.  

     

    Première strophe :

    L’entrée en matière est remarquable. Le poète apostrophe l’être humain, le vocatif initial, «Homme libre», étant habilement isolé, et la coupe irrégulière du vers 1 donnant beaucoup d’élan à la phrase exclamative qui affirme l’amour de l’être humain pour la mer. Il est tutoyé, et tout le poème est marqué par la récurrence de «tu» sujet, de I'adjectif possessif de la deuxième personne.  

    Ce début peut correspondre à celui de Balzac : «À force de chercher un autre lui-même auquel il pût confier ses pensées et dont la vie pût devenir la sienne, il finit par sympathiser avec l’Océan. La mer devint pour lui un être animé, pensant.»

    Au vers 2, par la métaphore du miroir, le poète établit l’existence d’une ressemblance entre Ia mer et l’«âme» de I'être humain, qui se regarde dans la première avec une complaisance narcissique. L’égalité entre les deux protagonistes est rendue par celle des hémistiches.

    Mais, la phrase se continuant, après un enjambement efficace, il se révèle, dans les vers 3 et 4, que l’être humain se reconnaît à la fois dans la surface mouvementée (le mouvement étant bien signifié par l’ampleur, la liquidité, les rimes intérieures, du vers 3) et la profondeur de la mer. Cette profondeur, assimilée à celle de l’«esprit» de l’être humain, est désignée par une litote qui, au nom «gouffre» joint l’adjectif «amer» (où on peut y voir comme l’union des mots à la rime que sont «âme» et  «mer»), ce qui suggère un abîme intérieur plein d’une amertume morale comparée à l’amertume de l’eau salée.

    Balzac avait écrit : «Familiarisé dès le berceau avec l’infini de ces campagnes humides, la mer et le ciel lui racontèrent d’admirables poésies.»

    On remarque l’effet des rimes embrassées dans cette strophe : l’écho «mer-amer» encadre l’écho «âme-lame». La rime «mer-amer» allait, devenue «mers-amers», être reprise par Baudelaire dans ‘’L'albatros’’ (vers 2 et 4) et dans ‘’Le voyage’’ (vers 6 et 8).

     

    Deuxième strophe :

    D’abord, eIle développe la suggestion d’une contemplation narcissique qui avait été donnée au vers 2, avec une insistance marquée par l’allitération «plais-plon».

    Au vers 6, Baudelaire joue sur les deux sens du verbe «embrasser», «embrasser des yeux» étant un sens second (saisir par la vue, dans toute son étendue) par rapport au sens premier, «prendre et serrer dans ses bras», ce qui, en fait, est impossible : comment prendre entre ses bras la mer?

    Dans ‘’L’enfant maudit‘’, on peut lire : «Comme tous les hommes de qui l’âme domine le corps, il avait une vue perçante, et pouvait saisir à des distances énormes, avec une admirable facilité, sans fatigue, les nuances les plus fugitives de la lumière, les tremblements les plus éphémères de l’eau.»

    À la fin du vers 6, dans un habile contre-rejet, est introduit le «coeur» de l’être humain, et il faut donc attendre les deux vers suivants pour découvrir quelle étroite correspondance existerait entre les expressions des douleurs de l’être humain et de la mer, les termes pour les désigner étant significativement intervertis : le mot «rumeur» relève en fait de la mer, et le mot «plainte» relève en fait de l’être humain. «Plainte indomptable et sauvage» est une hypallage : c’est la mer elle-même, ici personnifiée, qui en fait mérite ces qualificatifs.

    Balzac parlant de la mer avait écrit : «Elle lui révélait d’étonnantes mélancolies, elle le faisait pleurer, lorsque, résignée, calme et triste, elle réfléchissait un ciel gris chargé de nuages.»

     

    Troisième strophe :

    Le poète, s’éloignant du texte de Balzac, s’adresse désormais aux deux protagonistes pour insister sur la similitude entre eux, pour mettre en parallèle des caractères communs. Par «ténébreux et discrets», il faut comprendre «mystérieux et secrets», ce que confirme le vers 12, les rimes «discrets» et «secrets» encadrant d’ailleurs la strophe, comme deux «Vous» encadrent deux «tu».

    Dans les vers 10-11, en deux formulations parallèles («nul n’a sondé» / «nul ne connaît»), il est indiqué que la similitude est celle de profondeurs mystérieuses et secrètes, qui sont elles aussi interverties : à l’être humain sont attribués les «abîmes» insondables de la mer, à celle-ci les «richesses intimes» et inconnues de l’être humain, ce qu’on n’appelait pas encore l´inconscient.

    Au dernier vers de la strophe, les deux protagonistes sont associés, tous deux étant «jaloux» (au sens aujourd’hui vieilli de «particulièrement attaché à quelque chose») de leurs «secrets».

     

    Ainsi, les trois premières strophes s’emploient à associer de manière très étroite I'être humain et la mer.

     

    Quatrième strophe :

    Commençant par une articulation logique soulignant une objection («Et cependant»), elle procède à un retournement soudain, à une nette opposition à la relation d'amour indiquée au premier vers : la mer et l’être humain sont considérés comme des adversaires acharnés («sans pitié ni remord» [cette orthographe apparaissant guère justifiée puisqu’elle n’empêche pas la différence avec «mort»]), extrêmement belliqueux et violents («le carnage et la mort»), en conflit tragique et incessant («lutteurs éternels»), cette relation passionnelle étant, comme il se doit, paradoxale, I'hostilité n’empêchant pas la fraternité («frères implacables» [cette image artificielle s’explique peut-être par le souci de faire de la mer un être masculin pour qu’on puisse la combattre comme un homme]), ou l’inverse, les deux protagonistes s'aimant et se détruisant, dans un dernier vers aux effets de parallélisme soulignés (interjection + nom + adjectif). Cette dialectique de I'amour et de la haine, de la paix et de la guerre s'explique par les similitudes, fait que I'être humain et la mer, par une sorte de fatalité, ne peuvent qu'être ennemis, éternellement et indissociablement liés par une relation contradictoire faite de combat et d'attirance.

     

    Conclusion :

    Dans ce poème s'expriment une fascination pour la mer qui remonte aux archétypes de I'inconscient collectif, une identification de l’être humain avec la mer au point que les doubles se confondent.   Toutefois, l’analogie, au lieu d’être, comme ailleurs chez Baudelaire un essor partant du concret pour monter vers la transcendance, voyage ici en boucle, ouvre moins à la contemplation de l’infini qu’à la contemplation de soi face à l’infini.

    Et cette volonté de faire correspondre, à toute force et jusqu'à la limite du possible, à chaque aspect de la mer un aspect de l'âme humaine, fait du texte un exercice de rhétorique, au ton trop didactique. Ce parallèle incessant entre les deux entités protagonistes semble factice.

    Il reste que c’est parce qu’il est impossible à l’être humain de découvrir les secrets de la mer qu’elle peut représenter pour lui l’idéal qui seul mérite et justifie une quête acharnée et sans fin que Baudelaire allait affirmer avec force dans ‘’Le voyage’’ :                             

    «Et nous allons, suivant le rythme de la lame,

    Berçant notre infini sur le fini des mers

     

    André Durand


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    Ô Fou d’Amour
    Ô Troubadour,
    Ton Cœur est une Fontaine.
    Amour coule dans tes veines,
    Pour détruire toutes peines.

    La Joie sur les Chemins de la Terre
    Emplit ton corps fatigué,
    Mais jamais tu ne désespères,
    La rivière t’indique le gué.

    L’Espoir luit dans tes prunelles
    Comme l’Etoile du matin ;
    Comme elle tu es éternel,
    Nulle place pour les chagrins.

    Foin des aigris, des envieux,
    Foin des pervers jaloux,
    Toi qui chantes en tous lieux
    En Toi vit l’Amour Fou

    Regar

     

     

     


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    LE DESIR DE PEINDRE

    Malheureux peut-être l'homme, mais heureux l'artiste que le désir déchire!
     
    Je brûle de peindre celle qui m'est apparue si rarement et qui a fui si vite, comme une belle chose regrettable derrière le voyageur emporté dans la nuit. Comme il y a longtemps déjà qu'elle a disparu!
     
    Elle est belle, et plus que belle; elle est surprenante. En elle le noir abonde : et tout ce qu'elle inspire est nocturne et profond.
    Ses yeux sont deux antres où scintille vaguement le mystère, et son regard illumine comme l'éclair : c'est une explosion dans les ténèbres.
     
    Je la comparerais à un soleil noir, si l'on pouvait concevoir un astre noir versant la lumière et le bonheur. Mais elle fait plus volontiers penser à la lune, qui sans doute l'a marquée de sa redoutable influence ; non pas la lune blanche des idylles, qui ressemble à une froide mariée, mais la lune sinistre et enivrante, suspendue au fond d'une nuit orageuse et bousculée par les nuées qui courent ; non pas la lune paisible et discrète visitant le sommeil des hommes purs, mais la lune arrachée du ciel, vaincue et révoltée, que les Sorcières thessaliennes contraignent durement à danser sur l'herbe terrifiée!
     
    Dans son petit front habitent la volonté tenace et l'amour de la proie. Cependant, au bas de ce visage inquiétant, où des narines mobiles aspirent l'inconnu et l'impossible, éclate, avec une grâce inexprimable, le rire d'une grande bouche, rouge et blanche, et délicieuse, qui fait rêver au miracle d'une superbe fleur éclose dans un terrain volcanique.
     
    Il y a des femmes qui inspirent l'envie de les vaincre et de jouir d'elles; mais celle-ci donne le désir de mourir lentement sous son regard.


    Charles Baudelaire

    Le spleen de Paris

     

    « Le désir de peindre » est le trente-sixième poème en prose du recueil '' Les Petits Poèmes en prose'' de Baudelaire. Cette forme d'écriture qu'est la prose, sans rythme et sans rimes permet de mieux saisir les images données. Grâce à la langue riche en image et en sonorités, aux impressions fortes, à l’absence de personnages bien caractérisés, le lecteur se confectionne au fil du poème sa propre image.
                                        Nous étudierons dans un premier temps le processus d'écriture de la description, comment l'auteur la construit, et pour finir nous étudierons les images données.
                                                                                  
                            Dans « le désir de peindre », le poète nous décrit le souvenir d'une rencontre mémorable. Dès le début, le lecteur chemine à travers une description vivante et imagée. Semblable à une peinture, cette dernière permet au lecteur de se faire une image d'un caractère décrit.

                                                           *
    *Le processus d'entrée en poésie du poète dans le texte:
     
    Le poète entre en effet dans un processus en 4 étapes de plus en plus intériorisé :
    1)→ Introduction, il parle de généralités
    2)→ Il évoque la féminité « celle qui m'est apparue »
    3)→ Il la décrit « Elle est belle, et plus que belle... »
    4)→ Il la compare « Je la comparerais à un soleil noir... »



    Pour commencer, il établit une polarité entre le poète et l'Homme en général :
    'malheureux peut-être l'homme, mais heureux l'artiste que le désir déchire'. (l.1)
    La création du poète commence donc par un état de désir, première condition, même s'il y a une part de souffrance.

    (l.2) L'auteur est en état de créer « Je brûle de peindre celle qui m'est apparue si rarement », Ce désir se précise ! S'agit-il d'un souvenir, d'une rencontre ? En tous cas, un vécu particulier a provoqué cet écho en lui.
    On trouve le champ lexical de la brièveté et du regret (du passé?), de même qu'une parenté avec la nuit: ' si rarement, fui si vite, belle chose regrettable, emporté dans la nuit,Longtemps déjà qu'elle a disparu' !

    *La description donnée, le moment de la découverte :
    le temps employé est le présent.
    le mot 'belle' revient encore 2 fois, 'elle' 4 fois

    (l.5)« [...]elle est surprenante » il y a plus que sa beauté ! La description ne s'attarde que très peu sur le physique mais s'attarde surtout sur la qualité d'âme. « Elle est belle, et plus que belle...» il l'approche doucement , étape après étape comme une chose délicate qui pourrait s'enfuir à tout moment.
    Il donne  enfin un élément concret : 'le noir', une couleur forte adoucie par 'abonde', mot qui trouve comme un écho un peu plus loin dans 'profond', (et aussi dans 'explosion') : c'est un noir généreux !

    l. 6 Il y a ensuite antithèse avec des éléments de lumière : 'scintille', 'illumine', 'éclair'
    associé au regard, aux yeux, le deuxième élément concret, humain.
    Pour en arriver, par gradation, à l'antithèse qui est en événement en soi : .scintille vaguement le mystère..regard illumine comme l'éclair : c'est une explosion dans les ténèbres.
    Est-ce la rencontre avec un être, est-ce une révélation ?
    Le mot « femme » n'est jamais évoqué, mais c'est grâce aux éléments donnés, aux couleurs, aux nuances  et ambiances  que nous percevons un caractère, précisément celui de la féminité. Chaque élément nourrit petit à petit ce caractère qui se dessine et se forme dans notre imaginaire pour finalement se préciser à la fin du poème. Serait-ce le caractère de l'Idéal de poésie que Baudelaire tente de définir ?
    Cette rencontre cependant reste entourée de choses non expliquées : 'surprenante.... nocturne et profond... antres, mystère' qui font en partie son charme !

    *La forme :                              
                   
     La façon de décrire est très mystérieuse : c'est plutôt une caractérisation, en aucun cas une définition !
     Elle amène ainsi le lecteur à se faire sa propre image du personnage. Le fait que le texte soit écrit en prose accentue ce côté flou et mystérieux.
    Il y a cependant plusieurs exemples de rythmes binaires :
    malheureux...heureux
    si rarement... si vite
    comme une belle chose regrettable... comme il y a longtemps...
    Belle, plus que belle
    nocturne et profond
    le rythme 'deux' se retrouve aussi dans les deux yeux, et dans : 'ses deux yeux.... et son regard...'


      Puis vient, dans l'ordre des choses, après le désir réveillé par un souvenir/ une réminiscence, et le moment de la rencontre/découverte, le moment de l'entrée en activité du poète :
    il s'agit là d'une recherche (d'un travail de la conscience?) pour trouver l'image exacte.                           
                                      
    Ce quatrième paragraphe suit une gradation, l'auteur est enfin entré dans le processus de création, dans la comparaison.  Il a ainsi besoin de suivre une approche successive, et d'établir des polarités selon le rythme binaire déjà rencontré plus haut:
    soleil noir.... astre noir versant la lumière et le bonheur (de nouveau, l'idée d'un noir 'généreux'!)
    la lune...« non pas la lune blanche des idylles […] mais la lune sinistre et enivrante... ».
    non pas la lune paisible et discrète... la lune arrachée du ciel, vaincue et révoltée... (de nouveau, comme pour 'explosion', un phénomène violent!)
    Notons que cette mention de la lune rejoint le champ sémantique des ténèbres déjà relevé plus haut !

    L’élément lune dispose de deux aspects opposés :
    Elle est à la fois glaciale de par sa lumière blafarde et froide qu'elle dégage, pareil à une
    « froide mariée », mais elle est également romantique mélancolique et attirante. La lune représente en effet  le symbole de l'amour, de l'ambiance romantique. Elle a quelque chose de fascinant. La nuit, sa lumière nous protège, c'est une lueur rassurante dans l'obscurité. Le fait qu'elle soit accessible au regard sans qu'elle nous aveugle, elle apparaît moins agressive, moins percutante que le soleil et paraît de ce fait plus proche des hommes.

    Nous observons (l.9) un oxymore « soleil noir », deux termes s'opposent dans un même groupe. L'élément soleil est à la fois agressif de par sa lumière puissante mais aussi chaleureux, apportant « lumière et bonheur » comme nous dit Baudelaire.
    Un « soleil noir » accentuerait les deux faces du caractère de la femme :
    Une face rayonnante et chaleureuse comme le soleil, contre balancée par une face noire, couleur sinistre, couleur du deuil et de la tristesse.

    Le paragraphe commencé dans la lumière et le bonheur, termine sur une scène de violence et d'effroi ! De nouveau, donc, il y cette dualité entre générosité, beauté d'un côté, et effroi, violence de l'autre, comme on le voit en relevant les deux champs sémantiques dans ce 4ème paragraphe :

     
    Redoutable influence

    lune sinistre et enivrante

    nuit orageuse et bousculée

    lune arrachée du ciel, vaincue et révoltée... contraignent durement à danser ..
    herbe terrifiée    Soleil noir, astre noir versant la lumière et le bonheur
    lune blanche des idylles, qui ressemble à une froide mariée
    lune paisible et discrète... sommeil des hommes purs     

    Les personnages évoqués sont:
    d'un côté : froide mariée, de l'autre : sorcières thessaliennes
    l'accent est donc plus important du côté nocturne, qui est plus vivant, plus dynamique, malgré sa connotation effrayante (des sorcières!)
    le rythme des phrases s'allonge, chaque fois qu'il 'met de côté' une image paisible et entre dans l'élément dramatique ! Un peu comme un rythme binaire certes, mais 'boiteux', comme on imagine que peuvent l'être les pas de danse d'êtres élémentaires, d'êtres de la nature !
    Comme une danse qui irait en s'emballant !

    Il y a complémentarité entre le sujet qui l'inspire et son activité créatrice : à force de 'travailler' cette rencontre, le poète est devenu créateur d'images affinées et rythmées au fur et à mesure de ses recherches
                                                                          
    * Conclusion :                            
                                         Baudelaire recherche par tâtonnement successifs et caractérise un Idéal, ayant exclusivement le caractère de la féminité. Mais une féminité remplie d’ambiguïtés. Cette recherche de l'idéal se ferait dans le dynamisme :  une lutte « sinistre » et  « enivrante » qui inspire le « nocturne », le « sombre », mais qui est à la fois mystérieuse comme la lune.
    Le processus de création visible dans ce poème est à rapprocher de ce que dit Rimbaud dans sa 'lettre dite du voyant' p. 438 et 439, surtout après la ligne 31.

      « Désir de peindre » n'est pas sans rappeler « A une passante », extrait de « les fleurs du mal », un livre du même auteur écrit en 1861. Dans cet extrait Baudelaire joue avec la forme du sonnet pour dire la beauté moderne : un éclair avant la nuit, une brève rencontre et puis l'absence. Il s'agit également d'une brève rencontre, « une belle chose regrettable ».
    Dans « Le désir de peindre » le poète décrit le souvenir de cette femme au présent ce qui marque l'importance de l'instant passé, et donne l'impression que la femme se trouve à nouveau devant lui, comme si il revivait ce moment puissant. Le regret de cet instant est soutenu par le fait que l'auteur parle à la première personne, utilisant le registre lyrique.

                                                                                         Sohela Rubina Richard


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  •  Le joujou du pauvre


    Je veux donner l'idée d'un divertissement innocent. Il y a si peu d'amusements qui ne soient pas coupables !

    Quand vous sortirez le matin avec l'intention décidée de flâner sur les grandes routes, remplissez vos poches de petites inventions d'un sol, - telles que le polichinelle plat mû par un seul fil, les forgerons qui battent l'enclume, le cavalier et son cheval dont la queue est un sifflet, - et le long des cabarets, au pied des arbres, faites-en hommage aux enfants inconnus et pauvres que vous rencontrerez. Vous verrez leurs yeux s'agrandir démesurément. D'abord ils n'oseront pas prendre; ils douteront de leur bonheur. Puis leurs mains agripperont vivement le cadeau, et ils s'enfuiront comme font les chats qui vont manger loin de vous le morceau que vous leur avez donné, ayant appris à se défier de l'homme.

    Sur une route, derrière la grille d'un vaste jardin, au bout duquel apparaissait la blancheur d'un joli château frappé par le soleil, se tenait un enfant beau et frais, habillé de ces vêtements de campagne si pleins de coquetterie. Le luxe, l'insouciance et le spectacle habituel de la richesse, rendent ces enfants-là si jolis, qu'on les croirait faits d'une autre pâte que les enfants de la médiocrité ou de la pauvreté. A côté de lui, gisait sur l'herbe un joujou splendide, aussi frais que son maître, verni, doré, vêtu d'une robe pourpre, et couvert de plumets et de verroteries. Mais l'enfant ne s'occupait pas de son joujou préféré, et voici ce qu'il regardait :

    De l'autre côté de la grille, sur la route, entre les chardons et les orties, il y avait un autre enfant, pâle, chétif, fuligineux, un de ces marmots-parias dont un œil impartial découvrirait la beauté, si, comme œil du connaisseur devine une peinture idéale sous un vernis de carrossier, il le nettoyait de la répugnante patine de la misère.

    A travers ces barreaux symboliques séparant deux mondes, la grande route et le château, l'enfant pauvre montrait à l'enfant riche son propre joujou, que celui-ci examinait avidement comme un objet rare et inconnu. Or, ce joujou, que le petit souillon agaçait, agitait et secouait dans une boîte grillée, c'était un rat vivant ! Les parents, par économie sans doute, avaient tiré le joujou de la vie elle-même.

    Et les deux enfants se riaient l'un à l'autre fraternellement, avec des dents d'une égale blancheur.

    Charles Baudelaire- Le Spleen de Paris

    APHORISMES

     


    Commentaire littéraire :

    Le premier paragraphe commence par une description précise de là où est l’enfant riche. A la ligne 1 (Chiasme) « Sur la route… ». Cette structure est reprise à la ligne 15 « de l’autre coté…la route ». Riche description méliorative car on a des termes positifs comme : Joli château, vaste jardin, enfant beau et frais, la blancheur, frappé par le soleil, si plein de coquetterie. (Intensif et mélioratif) Tout ce premier paragraphe est lié à la condition sociale de l’enfant riche.
    « Si, jolie,… » Intensif. Généralisation de la beauté des enfants riche.
    Les noms communs : luxe, richesse et innocence insistent sur la condition aisée de l’enfant. Une antithèse avec pauvreté et médiocrité.
    L’antithèse est la figure centrale de ce poème.
    Pâte : expression métaphorique du moule souligne ici la différence entre les deux mondes.
    Pauvre = Mauvaise pâte
    Riche = Bonne pâte.
    Ligne 10 : description du joujou du riche méliorative : splendide (Hyperbole) verni, doré,… Eloge de la beauté du jouet, de la richesse.
    Comparaison entre le jouet et son maître. Les mots des lignes 11 et 12 sont mélioratifs.
    Mais le mot « verroteries » montre que ce jouet est très beau mais que c’est du toc.
    Pourpre = évêque.
    Ce jouet est comme une poupée, pantin car il a une robe pourpre. Verroterie annonce la fascination de l’enfant riche pour le rat vivant de l’enfant pauvre.
    Vie riche = monotone, en toc, …

    A la fin du 3ème paragraphe nous avons « : » (ligne 14) il ouvre sur la pauvreté qui opère la transition entre la description de l’enfant riche et le pauvre. Mise en valeur de l’enfant pauvre, de ce que regarde le riche.
    Chiasme à la ligne 15, symbolise sur le plan rhétorique l’opposition. Sémantique entre l’enfant riche et le pauvre.
    à Péjoratif : enfant pauvre et son univers, « charbon et les orties » (ligne 14), cela représente la pauvreté et le sauvage, la liberté du pauvre.
    La pauvre vit hors des cages, il est libre alors que le riche est surveillé. Il relaie le point de vue de la condition sociale. Il fait de l’enfant pauvre quelque chose de plus.

    Ils sont tous deux innocents : « marmots » : familier (ligne 16) « parias » : marginal donc péjoratif car rejeté par la société. Mais à la ligne 18, Baudelaire retourne la situation et fait de la laideur apparente quelque chose de beau avec à la ligne 19 : « une peinture idéale » compare avec le peintre, l’artiste, le connaisseur.
    Célèbre la beauté de la laideur apparente (= Les Fleurs du Mal) car il compare à la ligne 18 et 19 « un œil impartial » à l’œil de l’artiste peintre qualifié de connaisseur (ligne 19) il est donc capable (ligne 20 et 21) de trouver l’enfant laid et pauvre, BEAU.
    A travers les mots « répugnante patine » (ligne 20), Baudelaire se moque des bourgeois, satire.
    Ligne 22 : On voit bien la position de l’auteur : il critique les bourgeois qui sont responsables du clivage social. Car si ils donnent au pauvre, ils perdraient de la richesse.
    Séparant de monde : grande route (pauvre) / château (riche) = allégorie.

    En fait, le riche est fasciné par le pauvre et son jouet : adverbe « avidement », « rare » et adjectif « inconnu ». Le lecteur n’identifie que tard ce qu’est ce jouet « Un rat vivant » ligne 27 et 28.
    Pour souligner la pauvreté du 2ème enfant l’auteur précise aux lignes 28/29 que ce rat a été tiré de la vie elle-même par les parents de l’enfant. Le rat représente la misère, la maladie, la saleté.

    Au deux dernière lignes, on a une chute avec une morale implicite car malgré leurs différences sociales, les deux enfants sont égaux et sont aussi beaux l’un que l’autre.
    L’égalité entre les deux enfants est évoquée par les mots « fraternellement », « égale », « blancheurs ».
    « égale » est mis en italique pour insister sur cette égalité. L’expression pronominale « se riaient… »
    C’est un lien réciproque.
    Blancheur : pureté, innocence des deux enfants.


    Conclusion

         Le poème en prose Le Joujou du pauvre est basé sur une figure de rhétorique principale, l’antithèse entre l’enfant riche et le pauvre. Nous constatons que l’enfant riche est fasciné par le jouet de l’enfant pauvre (le rat vivant), alors que le riche en possède un beaucoup plus beau. La différence sociale est symbolisée par des barreaux. Ce que montre la thèse de Baudelaire est en faveur d’une égalité sociale. Ce texte est un apologue car il contient une morale implicite infirmant que nous sommes tous égaux.
         Nous pouvons comparer ce poème à une autre forme d’apologue, les fables, qui délivrent toute une morale implicite ou explicite comme La jeune veuve de La Fontaine qui dénonce l'hypocrisie des femmes avec une fausse tristesse quand elles perdent leur mari.


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  • PROVERBES

     

    Bénédiction

    Vers le Ciel, où son œil voit un trône splendide,
    Le Poëte serein lève ses bras pieux,
    Et les vastes éclairs de son esprit lucide
    Lui dérobent l'aspect des peuples furieux:

    - «Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance
    Comme un divin remède à nos impuretés
    Et comme la meilleure et la plus pure essence
    Qui prépare les forts aux saintes voluptés!

    Je sais que vous gardez une place au Poète
    Dans les rangs bienheureux des saintes Légions,
    Et que vous l'invitez à l'éternelle fête
    Des Trônes, des Vertus, des Dominations.

    Je sais que la douleur est la noblesse unique
    Où ne mordront jamais la terre et les enfers,
    Et qu'il faut pour tresser ma couronne mystique
    Imposer tous les temps et tous les univers.

    Mais les bijoux perdus de l'antique Palmyre,
    Les métaux inconnus, les perles de la mer,
    Par votre main montés, ne pourraient pas suffire
    A ce beau diadème éblouissant et clair;

    Car il ne sera fait que de pure lumière,
    Puisée au foyer saint des rayons primitifs,
    Et dont les yeux mortels, dans leur splendeur entière,
    Ne sont que des miroirs obscurcis et plaintifs!»

    Charles Baudelaire,Les Fleurs du Mal


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  •  

    A une jeune fille


    Vous qui ne savez pas combien l'enfance est belle,
    Enfant ! n'enviez point notre âge de douleurs,
    Où le coeur tour à tour est esclave et rebelle,
    Où le rire est souvent plus triste que vos pleurs.
     
    Votre âge insouciant est si doux qu'on l'oublie !
    Il passe, comme un souffle au vaste champ des airs,
    Comme une voix joyeuse en fuyant affaiblie,
    Comme un alcyon sur les mers.
     
    Oh ! ne vous hâtez point de mûrir vos pensées !
    Jouissez du matin, jouissez du printemps ;
    Vos heures sont des fleurs l'une à l'autre enlacées ;
    Ne les effeuillez pas plus vite que le temps.
     
    Laissez venir les ans ! Le destin vous dévoue,
    Comme nous, aux regrets, à la fausse amitié,
    A ces maux sans espoir que l'orgueil désavoue,
    A ces plaisirs qui font pitié.
     
    Riez pourtant ! du sort ignorez la puissance
    Riez ! n'attristez pas votre front gracieux,
    Votre oeil d'azur, miroir de paix et d'innocence,
    Qui révèle votre âme et réfléchit les cieux !
     
     Victor Hugo (1802-1885)


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